France - Le 1er novembre 2022
Reportage à Claude Marill, militant reconnu depuis des décennies du mouvement ouvrier français, aujourd’hui membre de la Tendance Intersyndicale Émancipation. Claude vient du mouvement trotskyste et a une longue histoire dans la lutte contre le stalinisme.
Du cœur même de l’impérialisme français, il nous donne son point de vue sur la situation en France et en Europe.
Nous reproduisons la position courageuse de ce militant internationaliste, lutteur infatigable pour la révolution syrienne et maintenant de la classe ouvrière ukrainienne.
REPORTAGE À CLAUDE MARILL
de la Tendance intersyndical Émancipation, France
Devant la guerre d’invasion en Ukraine et le massacre de sa classe ouvrière. Comment voyez-vous que la classe ouvrière européenne et française en particulier a répondu ? Pourquoi pensez-vous que c’est le cas ? Y a-t-il des groupes de militants qui soutiennent la classe ouvrière ukrainienne ?
Corbyn en Angleterre, la CGIL en Italie, les souverainistes en France sont révélateurs d’un Campisme tenace en Europe et plus particulièrement dans notre espace hexagonal.
En France les organisations ouvrières n'ont nullement fait campagne en soutien au peuple UKRAINIEN.
Lors des campagnes pour les élections législatives puis présidentielles , l' invasion de L'Ukraine par l'armée de la fédération de Russie n'a fait l'objet d'aucun débat à gauche comme à droite.
Seul le candidat des Verts a pris une position formelle en défense du peuple Ukrainien .
Nous ne pouvons que constater que cette guerre aux effets pourtant majeurs sur la scène internationale aura été traitée comme un non-événement.
Le Mouvement Ouvrier français structuré par la social démocratie, le PCF et les souverainistes dont la FI, ne s'est pas porté en défense du peuple Ukrainien , pourtant envahis.
Seul le groupe « Ensemble » , une fraction du NPA, et quelques intellectuels regroupés autour d'une structure de débats intitulée « Arguments pour la lutte sociale » animée par Vincent Présumey ont pris fait et cause pour le peuple Ukrainien.
Les souverainistes amenés par Chevènement, et plus largement par JL Mélenchon et le PCF, appellent à la paix sous l'autorité de L'ONU. Ces organisations et mouvements politiques font porter aux USA, et à son bras armé L'OTAN, la responsabilité principale à ce conflit. La condamnation du Kremlin les concernant est ainsi de pure forme.
Les trotskistes dont LO, mais aussi le POI, et le POID, quant à eux, condamnent l'invasion mais pour mieux dénigrer la résistance ukrainienne qu' ils réfutent en tant qu’engagement chauvin, nationaliste. Ces organisations ignorent la résistance populaire Ukrainienne et son prolétariat pourtant en résistance et en première ligne pour impulser l’élan possible, dans le contexte du conflit, une dynamique de classe révolutionnaire susceptible de conduire à la défaite l'envahisseur et au renversement du pouvoir de la bourgeoisie.
Le 26/ 10 la FI et le POI ont de conserve, donné conférence de presse à l'Assemblée nationale POUR marquer, face à l’opinion française, leur opposition à Poutine.
Ainsi siégeaient Mélenchon pour la FI et Jérôme Legrave pour le POI …et leurs camarades russes oppositionnels déclarés à Poutine dénommés Alexis Sakhnin, Andréî Roudoî, et Elizavieta Smirnova représentantEs d'une « coalition des socialistes russes contre la guerre » .
Ces militantEs appartiennent à la fraction gauche du KPRF, le PC nationaliste et stalinien russe..
Ces socialistes comme les militantEs du KPRFet , à L'INSTAR de Mélenchon, ont soutenu et approuvé l'annexion de la Crimée en 2014.
Alors que KPRF soutient l'actuelle invasion de L'Ukraine , Alexeî Sakhnin, À. Roudoî et Elizavieta Smirnova optent pour une autre stratégie de contournement de la réalité concernant cette invasion , en dénonçant la brutalité de la répression en Russie sans avoir à évoquer celle exercée en Ukraine dont il ne sera nullement question pendant toute la conférence.
Jamais le retrait des troupes de la fédération de Russie en Ukraine n'aura été évoquée.
Le camarade Roudoî aura, interrogé par un journaliste, donné cette leçon à l'adresse le la classe ouvrière Ukrainienne :
« j'aurais à leur dire et je leur dis déjà que la classe ouvrière russe et la classe ouvrière Ukrainienne sont liées, qu' il faut qu'elles s'unissent, contre leurs pouvoirs bourgeois respectifs qui font la guerre. Il faut que les ukrainiens comprennent que tous les russes ne veulent pas leur mort, que la Russie est diverse. C'est tout. »
Sauf que ce n'est pas la Russie qui est envahie mais L'Ukraine ! Que ce n'est pas le peuple russe qui subit les bombardements mais l'ukrainien lequel de surcroît, supporte les crimes de guerre.
Lors de cette conférence, seul le martyr du peuple russe sous la férule de Poutine aura été largement développé mais nul soutien au peuple envahis, quasiment absent des échanges lors de cette conférence !
Ce type de dévoiement rhétorique illustre parfaitement les stratégies des souverainistes à propos desquelles j.L Mélenchon excelle pour tenir à la marge de l'opinion la réalité de l'invasion de L'Ukraine , voire disqualifier la résistance populaire Ukrainienne présentée comme chauvine.
Sur le plan syndical, à l'initiative de SUD SOLIDAIRE, de la FSU, et de la CGT, des convois syndicaux humanitaires sont partis en direction de L'Ukraine à la rencontre des syndicats ouvriers indépendants, de cheminot.es et de mineurs.
Ces convois ont été organisés grâce au réseau syndical de solidarité et de lutte.
Cette approche internationaliste ouvrière renaît après les guerres dans les Balkans ou encore en Tchétchénie.
Cette prise de conscience internationaliste doit être popularisée et confortée.
Dans l'espace médiatique français, les souverainistes et staliniens font passer le message auprès de l'opinion française et de sa classe ouvrière que le kremlin, confronté à l'encerclement et à la menace de L'OTAN, n'avait guère le choix que d'envahir L'Ukraine belliqueuse et nazifiée afin de rétablir la paix sociale..et la démocratie. Si le dispositif militaire de L'OTAN aux marges de la Fédération de Russie est indéniable, c'est plus en termes défensifs qu’ offensifs dès lors que les impérialistes européens n'ont, dans les circonstances de divisions actuelles qui sont les leurs , aucun intérêt à s'engager dans un conflit majeur, aux conséquences incalculables.
Remarquons que l'Allemagne, compte tenu de ses échanges commerciaux avec la Fédération de Russie, connaît à l'occasion du blocus économique imposé à cette fédération, une chute très importante de sa croissance économique.
Les organisations trotskistes , à l'exception du NPA qui prend ses distances par rapport à ces positions campistes, nuance ses soutiens à la résistance Ukrainienne en ne faisant pas campagne pour l'armement du prolétariat.
LO considère que la Fédération de Russie n'est pas une puissance impérialiste et , en tant que telle, ne serait pas engagée dans un processus de conquête de marchés par la guerre.
Pour ces militantEs cette guerre entre États capitalistes ne saurait intéressés le prolétariat.
Les guerres du Kremlin dans le Caucase, en Syrie, et la poursuite de ses menées impérialistes en Lybie via l'Afrique occidentale ne semblent pas infléchir leurs analyses.
Le prolétariat européen reste sur des analyses européo- centrées voire ethno-centrée réactionnaires et contre révolutionnaires.
Mardi 18 il y a eu une importante grève et mobilisation en France. Quelle était sa demande, quels secteurs ont fait de la grève ? Après cette grève et cette mobilisation et devant la suspension de la grève dans 3 des 5 raffineries, quel est l’état d’esprit des travailleurs de base du pétrole ?
La manifestation du 18. 10, pour la revalorisation des salaires, appelée par les fédérations syndicales CGT, SOLIDAIRES, FSU, rebond de la manifestation contre la vie chère du 16 .10 à l'initiative de la FI puis ralliée par la NUPES ( F I, PS, EELV , PCF, ) N'a connu qu'un succès relatif .
Néanmoins elle portait un mot d'ordre central, unificateur de classe, et donc stratégiquement lucide.
La grève pour l'augmentation des salaires dans un contexte d'inflation à plus de 10%, s'impose pour tous les salariés pubic/privé.
Mais le vecteur unificateur du tous ENSEMBLE dans la grève n'était pas au rendez-vous !
Dans la dynamique des ouvriers raffineurs en grève, lesquels exigeaient un minima de 10% d'augmentation de salaire, les autres secteurs salariés n'ont pas saisi l'opportunité de l'appel à la grève générale sur une base claire revendicative :
Augmentation égale pour toutEs de 10%,
Échelle mobile des salaires, des retraites, des pensions, des minima sociaux.
Pourtant au cours de la manif du18 10, le cortège des cheminotEs Sud/Rail scandait
Grève générale !!..…et se sont déclarés en grève reconductible à partir de la journée du 29.10.
Isolés , et non suivis par les autres fédérations CGT, FO, UNSA,CFDT. Le mouvement s'est essoufflé dans les gares parisiennes …et les cheminot.es ont voté la reprise du travail.
Il était pourtant clair, que les raffineries occupées et le rail en grève bloqueraient le Pays !
La question des salaires est centrale, au cœur des revendications ouvrières aujourd'hui.
Les directions syndicales CGT, FO, SOLIDAIRES, FSU, portent la lourde responsabilité de n'avoir pas voulu , encore et toujours, engager l'épreuve de force avec le pouvoir.
Le gouvernement amplifie quant à lui ses attaques contre les travailleurs, joue sur les opposition syndicales corporatistes, maintient son cap de destruction des acquis concernant la retraite, la sécurité sociale,et persiste à délabrer les institutions publiques hospitalières et d'enseignement.
Le lycée professionnel est aujourd'hui la proie du patronat provoquant des grèves enseignantes et des élèves de ce secteur tandis que , de leurs côtés, les travailleurs du nucléaire partent aussi en grève pour une revalorisation salariale qui devrait se conclure selon la CGT par une revalorisation historique de 5 à 10 %, soit 200 € d'augmentation pour toutEs.
Dans ce contexte du «chacun pour soi « les salariés de Gonfreville reconduisent la grève pour une semaine , de conserve avec ceux du dépôt de Feysin , tandis que les travailleurs de la raffinerie de Mardyck proche de Dunkerque et ceux de Mede.proche de Marseille reprennent le travail.
La combativité ouvrière dans le secteur de la raffinerie reste peu entamée. Elle se manifeste d'autant plus que Total Énergie affiche des plus value de près de 55 milliards d'euros pour l'année 2022.
Dans ce secteur les revendications portent sur une revalorisation de 10%, soit 7% pour répondre à l'inflation et 3% pour le partage des richesses produites.
De leurs côtés, LA CFDT et la CGC signent un accord salarial qui aura permis une hausse des salaires de 5% pour toutEs. Bien en deçà des revendications exigées.
Pourquoi pensez-vous que l’État a eu recours à la réquisition dans cette grève ? À quel autre moment a-t-il utilisé cette mesure ?
Dans la loi, le juge administratif donne au préfet de région le droit de décider une réquisition.
Celle-ci peu fréquente s'applique dans les secteurs stratégiques de l'économie mais peut s'appliquer aussi dans les institutions relevant du pouvoir régalien de l'État.
Nonobstant la réquisition bafoue le droit de grève et son application traduit la faiblesse de l'état à régler les conflits, ce qui est aujourd'hui le cas.
Après les grandes luttes que le mouvement ouvrier a menées, après avoir perdu des conquêtes historiques, comme les 35 heures, face à la crise économique, énergétique actuelle Quelle est la situation en France quant au rapport de force entre la bourgeoisie et le mouvement ouvrier ?
AUJOURD'HUI le rapport de force objectif serait nettement en faveur de la classe ouvrière.
Pour son deuxième mandat présidentiel Macron été élu par défaut et avec un taux d'abstentionnistes record. Les élections législatives ne lui auront pas permis d'obtenir la majorité à la chambre des députés. Il ressort de ces dernières élections très affaiblies.
Il est donc l'otage de l'aile droite du parlement (LR) et des formations dites centriste de F Bayrou et celle clairement libérale d'Edouard Philippe.
La guerre en Ukraine ne peut qu'aggraver la situation économique du pays qui affiche un taux de croissance de 0,5 % pour l'année en cours 2023.
Macron pris en tenaille entre les revendications ouvrières , une économie poussive, et une bourgeoisie prête à le lâcher, pourrait ne plus disposer du poids politique pour imposer la maîtrise nécessaire à la gestion de l’économie capitaliste du pays.
Cela dit, à gauche les directions politiques et syndicales sont d'autant plus conciliantes avec le pouvoir que l'épreuve de force pourrait basculer en faveur de la classe ouvrière.
Dès lors la CGT PRESSANTANT une situation de confrontations et de crise annonce deux journées d'action programmées pour le 27/ 10 et le 10 /11.
Pour la CGT, C’est faire l'aveu que l'on ne veut pas gagner !..et le 27.10 a déjà été un échec !
Les formations politiques de gauche PS/PCF/EELV/réorganisées dans la NUPES sous la gouverne de la FI, ne constituent qu'un pseudo « Front populaire » regroupant des forces militantEs ridicule, sans volonté politique, craintives d'un mouvement social d'ampleur qui ne pourrait que les discréditer.
Sous la conduite de Mélenchon la FI JOUE résolument la carte du réformisme en privilégiant les palabres et joutes parlementaires au détriment des Greve dans les entreprises.
Celles-ci ne servent que de faire valoir à la représentation parlementaire de la FI.et de la NUPES.
Ce détournement de la combativité des salariés par le jeu parlementaire représente la pire stratégie pour la classe ouvrière.
Ni les motions de censure au parlement ni les journées d'action ne permettront de gagner !
Désormais seule la stratégie du débordements des directions syndicales et politiques par la grève permettra de débloquer la situation.
Cela pourrait se jouer su la question des revalorisations des salaires, pour en finir avec le parlementarisme, œuvrer vers la perspective de la grève générale,.
Que pensez-vous de la politique de Melechon et du NPA, LO, POID, POI etc dans la situation actuelle ?
Dans le contexte social actuel, la politique menée par la FI sous la houlette de Mélenchon est UN impasse au développement des luttes, à leurs orientations, à leurs finalités.
Thuriféraire de Chantal Mouffe, philosophe belge, Mélenchon considère que désormais la classe ouvrière n'est plus moteur et sujet de l'Histoire ; il faut y substituer le peuple, seul acteur déterminant susceptible de permettre le changement social.
Ses références symboliques sont celles du drapeau national tricolore, qu'il impose dans les manifestations, en lieu et place du drapeau rouge. Il en appelle à la révolution française bourgeoise et non à la Commune de Paris.
Seul le peuple dans sa dynamique « d'insurrection civique » (sic) qui passe par le parlement, est susceptible d'un réel changement social, par voix électives qui est celui du système de la démocratie bourgeoises.
En cela la FI est confortée par le POI , POID et LO, tant ces organisations versent dans l'électoralisme sectaire et un ouvriérisme fermé aux luttes à l’échelle internationale.
Ces formations politiques peuvent organiser des militant.es actifs dans les luttes ouvrieres d'entreprises mais sans pouvoir réellement imprimer une ligne ouverte et non sectaire.
Le NPA semblerait ne pas pouvoir proposer une ligne claire de classe internationaliste .
Il demeure sur une position centriste compte tenu de ses contradictions internes. Ses ambiguïtés concernant ses positions internationales ne lui permet pas de jouer un rôle révolutionnaire. Par exemple, son soutien au PKK IPG-IPJ KURDE au détriment de la révolution syrienne dans sa phase la plus active a été révélatrice de ses errements internationalistes. Les militantEs du NPA ont soutenu les assiégés kurdes à Ain Arab / kobané mais n’ont accordé aucun soutien pour ceux d'Alep EST, Homs, Idlib, Raqqa ..et bien d'autres.
Ils ne se sont pas mobilisés en défense des peuples Bélarus, Kazakh, aujourd'hui Iranien.
Leur défense du peuple Ukrainien demeure ambiguë. Pas de mobilisation pour l'armement du peuple ukrainien et de sa classe ouvrière .
Son choix à investir son énergie militante dans les campagnes électorales l'institutionalise dans le paysage politique.
La gauche et l'extrême gauche française sont marquées par une idéologie politique européo centrée, peu perméable aux mouvements insurrectionnels, aux révolutions en cours. Leur internationalisme relève d'un anti impérialisme sectaire, formel et dogmatique.
Elles ont été sourdes et aveugles face à la guerre coloniale en Tchétchénie, ainsi que dans le Caucase, en Syrie, au Machrek, dans le monde arabe.
Leurs analyses campistes concernant la guerre faite par la puissance tutélaire coloniale russe au peuple Ukrainien les situent dans un positionnement contre révolutionnaire de surplomb.
Quelle est votre conclusion sur la situation ?
La situation mondiale se pourrait être dramatique.
Outre un changement climatique qui ne saurait être infléchi dans un contexte d'économie capitaliste,
La crise économique mondiale accélère les processus de confrontations impérialistes génératrices de guerres. La confrontation USA/ Chine dans l'hémisphère Sud, les velléités de l'impérialisme russe confronté à ceux européen dans l'hémisphère Nord amplifient les risques de guerres.
La guerre moderne associe les procédés les plus archaïques tels que le viol de masse, tortures, déshumanisation de l'adversaire, avec des armes de haute technologie, puissamment létales.
Les populations vivent dans la peur de l'observation et le contrôle politiques d’Etat exercés à l’aide d’outils informatiques d'une insoupçonnables fiabilité. Les forces de police et l'armée sont dotés d'instruments de répression de destruction de masse.
Crimes de guerre et contre l'humanité sont aujourd'hui banalisés, inhérents à la situation imposée par la guerre totalitaire. Nous retournons en barbarie.
De ce point de vue la Syrie de Bachar-al Assad en serait l’exemple expérimental d’un fascisme moderne. Les syriens appellent leur pays l'archipel de la mort.
Seule la révolution internationale conduite par les prolétariats unis dans un même combat contre le capitalisme pourrait mettre en échec cette spirale de violences destructrices impérialistes.
Dans ce contexte le Campisme est contre révolutionnaire !
Aujourd'hui les avant-gardes révolutionnaires sont d'une absolue nécessité pour sauver une Humanité désormais au bord de l'indicible.
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